Cuba

Una identità in movimento

Les Orishas chantent et dansent

Helio Orovio

de: Mémoire d'esclaves, textes réunis par Claude Savary et Gilles Labarthe
(Catalogue de l'exposition, Ville de Genève, 2 mai — 5 octobre 1997), Genève,
Musée d'ethnographie de Genève, 1997, pp. 87-94



Les premiers Noirs arrivent dans l'île de Cuba en 1492, à bord des trois navires dont est constituée la flotte de Christophe Colomb. A partir de 1511, avec la conquête et la colonisation, ils sont ensuite déportés d'Afrique par vagues successives. Au plus fort de cette migration forcée, on comptera au plus un million et demi de Noirs répartis à travers toute l'île, avec leurs langues, leurs croyances et leurs cultures. Les groupes principaux seront composés de Congos (de l'aire ethnolinguistique bantú), des Lucumí (de l'aire culturelle yoruba) des Arará (du Dahomey, ou Bénin actuel) et des Carabalí (du Calabar), mais il y aura également des Mandingue, des Gangá, des Mína et des Macuá. A une certaine époque, autour de 1840, les Noirs, esclaves ou libres, représenteront jusqu'à soixante pour cent de la population globale de l'île.

La présence des groupes africains et de leurs descendants à Cuba est indissociable de la culture de la canne à sucre. Dans un premier temps, leur influence sur l'île relève par conséquent de ce qu'on a nommé les "cultures de plantation". Mais ils se voient ensuite confier d'autres tâches, notamment domestiques et manuelles, ainsi que les tâches liées à la construction. Avec le temps, il se produit entre les milieux d'origine africaine et ceux d'origine hispanique un mélange ethnique e qui joue un rôle prépondérant dans l'élaboration d'une musique spécifiquement cubaine, même si ce existe déjà dans la péninsule ibérique, notamment au terme de nombreux siècles de domination arabe, dans tout le pays des Noirs et des Mulâtres.

De tous les apports que l'on doit aux groupes d'origine africaine à la culture créole de Cuba, l'un des plus remarquables reste leur influence sur la musique folklorique et populaire. Les Noirs ont apporté des chants, des danses et des rythmes qui se sont constamment développés au cours des siècles, en dépit de la répression dont ils firent l'objet. "L'histoire du tambour, des baraquements sordides ou des fêtes des anciens esclaves, jusqu'à nos jours, symbolise les vicissitudes qu'ont subi pendant des siècles les descendants des Africains, et la lutte secrète qu'ils ont menée pour sauver les restes de leur patrimoine culturel" (R. Martinez Furé, Diálogos imaginários, 1979).


De la culture yoruba à la santería cubaine: un panthéon de divinités

Les Yoruba (Lucumí à Cuba) arrivent en grand nombre dès les premières années de la colonisation et jusque vers 1880. Ils sont à l'origine d'un des apports culturels les plus notoires de la région caribéenne, à travers leurs coutumes, leurs chants, leurs danses et leurs accompagnements de percussion. En établissant des correspondances étroites entre leurs divinités (les orisha) et les saints catholiques, ils ont donné naissance à une "religion créole": la santería cubaine.

Ce sont les fêtes qui centralisent le mieux ces éléments culturels et sociaux d'origine yoruba, où l'akpwón chante et prie, invoque les divinités, accompagné des fameux trois tambours batá (okónkolo est le nom du plus petit; itótele, celui du moyen; iyà désigne le plus grand) et de trois güiro ou chekeré.

Voici venir Shangó, le dieu de la musique, le maitre des tambours, le roi d'Oyo et le roi des rois. Il est la divinité du tonnerre, de l'éclair et de la guerre, tout feu, tout flamme. Il est glouton, luxurieux et danseur. Inlassablement il réclame l'épée, la sang, le sexe de la femme et le son du tambour. Son correspondant catholique est sainte Barbe. Un de ses chants dit:

Moforí bolere o
Shangó obbá, dola ye
Moforí bolere o
Shangó obbá dola ye.

Moforí bolore o
Layé topa, dola ye
Moforí bolere o
Shangó obbá, dola ye.

Aggó Babá
moforí bolere o
Shangó obbó, dola ye...

Arrive Oyá, la première épouse de Shangó, son épouse légitime. Déesse des tempêtes et des tourbillons, elle est le mauvais temps habillé d'un arc-en-ciel. Elle est aussi la gardienne de la grande porte des cimetières. On l'associe à la Vierge de la Chandeleur.

Eh ! Pkwan-té oriri
Oyá-a wáa-wo Pkwan-té
alá mófiye,
Eh ! Pkwan-té
Oyá-a wáa-wo Pkwan-té
alá mofiye Eh ! te
alá mofiye...

Mais voilà Oshún, la deuxième épouse de Shangó. Elle cloue, à l'aide d'un marteau, l'amour et le désir dans le coeur des hommes. Elle porte un nom de fleuve. Oshún est avant tout la femelle, plus terrestre que divine. Rois, dieux et guerriers s'agenouillent devant sa grâce. Elle couche avec eux, humide parmi les oranges, parée des plumes du paon royal, enrobée de miel et parfumée de cannelle. On la représente sous les traits de la Vierge de la Charité.

Quant à Obá, elle est la troisième épouse de Shangó. Elle symbolise la fidélité conjugale. Elle vit dans le fleuve qui porte son nom, et aime découvrir les secrets. Dans la religion catholique, c'est sainte Rita.

Surgit maintenant Ogún, le dieu du fer. Son nom vient du fleuve principal qui traverse le territoire yoruba. Il est le premier fils d'Odudúa. Sous sa forme guerrière, il porte des chaïnes et des clefs. On le représente aussi sous la figure de saint Pierre.

Voici que s'avance la très honorée Yemayá, déesse de la beauté. Elle a la profondeur de la mer et de son corps naît Olokun, qui vit dans les profondeurs marines. Elle est la maîtresse des eaux et des mouettes. Elle règne sur le bleu éternel et infini de la mer, elle est parée de bandes d'écume. Son chant nous dit:

Yemayá asesú
asesú Yemayá.
Yemayá asesú
asesú Yemayá.
Yemayá oloddo
oloddo Yemayá.
Yemayá oloddo
oloddo Yemayá.

Nous découvrons encore Oshosi, le maître de l'arc et de la flèche, de la chasse et de la prison. Il protège les fugitifs et nourrit les affamés. Il forme, avec saint Norbert, une autre figure syncrétique.

Osun est le messager du grand dieu. Il annonce la fin de la vie et l'arrivée de l'instant fatal. Il accompagne les humains et les protège en les enveloppant d'une ombre blanche. Il est associé aux guerriers. Il porte les quatre points cardinaux. On le représente souvent sous la forme de la canne de saint François.

Mais voici Babalú Ayé, le miraculeux. Sa popularité est grande parmi ceux qui pratiquent les rites yoruba. Il est d'origine arará. On le représente sous les traits d'un pèlerin lépreux et humble, qui marche avec des béquilles, entouré de ses chiens. Il comprend les souffrances et les apaise. Il aime beaucoup ses fils. A Cuba, il est associé à saint Lazare. L'un de ses chants caractéristiques dit:

Babaé, Baba soroso
Babaé, Baba orisha soroso
Babalú Ayé
Lyanfon modde
Baba chiré chiré.

Obatalá est la mère et le père de tous. Elle a façonné l'homme pour que les routes et les chemins ne soient pas désolés. Elle a modelé d'abord les corps, et bien plus tard les têtes, toutes différentes, afin qu'il n'y ait pas confusion et qu'elles pensent de manière bien distincte. On l'associe à la Vierge des Grâces.

Et enfin, voici Eleguá, qui conclut la danse. Eleguá, la divinité qui ouvre et ferme toutes choses, qui se poste à l'entrée et à la sortie de tout lieu. Il campe aux quatre coins et occupe tous les points cardinaux. On le représente sous les traits d'un enfant turbulent qui fait des bêtises. C'est lui qu'on salue en premier et auquel on demande permission. C'est l'enfant d'Atocha, ou saint Antoine, et l'Anima Sola. L'une de ses invocations les plus courantes dit:

Ibba aggó moyubá
Ibba aggó moyubá.
Omo oddé, koní kosí
ibba aggó
aggó moyubá
Elebwa-Echu loona.


Origines et influences de la musique cubaine

Les expressions de la musique cubaine vont des anciennes célébrations du jour des rois, durant lesquelles les diablotins ou les fremes descendaient dans la rue, au monde de la rumba, en passant par les musiciens et les danseurs de mascarades liées au carnaval de La Havane ou de Matanzas. Au XXe siècle encore, leur présence dans le monde de la musique est indéniable. Ainsi, telle fête d'origine lucumí, largement répandue dans la partie occidentale de l'île, s'appelle le bembé. Elle est célébrée en l'honneur des déités qu'on fait descendre pour l'occasion à l'ilé-ocha, la maison-temple, où elles se divertiront avec leurs fils. Trois tambours de grande taille résonnent durant la célébration, les deux premiers tenant un rythme soutenu tandis que le dernier produit des variations d'une grande richesse. Le groupe compte également, au rang de ses instruments, une plaque de fer percutée.

Quant aux Ararà, originaires du Dahomey, ils sont répartis dans les provinces de Matanzas et de La Havane. Leurs chants en langue ewé-fon étaient accompagnés de tambours de forme tronconique (c'est ainsi que les qualifia le grand spécialiste de la culture cubaine Fernando Ortiz[1], munis d'un système de tension à base de clefs. On nomme ces tambours ñonufo, ñonajo, güegüé et asajún.

La contribution des Congo à la formation de notre musique cubaine est certainement une des plus impressionantes. Regroupés dans les baraques rurales ou dans les salles de fêtes urbaines, ils ont fait retentir ces formes d'expression originales qui se sont mêlées peu à peu aux formes hispaniques, pour déboucher sur un formidable cocktail musical. Les chants congo sont caractérisés par des formules mélodico-rythmiques cycliques, accompagnées de phrases brèves et répétitives. Certains de ces chants sont de caractère rituel, utilisés dans les cérémonies, d'autres sont profanes, comme cet air très connu:

Con mi taco de palo
Te con é
Con mi puya'e acero
Té con é
Con machete filá
Té con é
Yo matá cosa mala
Té con é.

La conga de La Havane s'inspire de la marche ou de la procession abakuá. La société secrète abakuá est née dans la région de Calabar, au sud du Nigeria. Des milliers d'esclaves originaires de cette région ont émigré vers Cuba: ce sont les Carabalí, qui se sont concentrés aux alentours des ports de La Havane, de Matanzas et de Cardenas. Là, ils ont fondé des confréries, qui sont des répliques de leurs institutions d'Afrique occidentale. Il s'agit de sociétés d'entraide et de secours destinées à leurs membres; elles possèdent un code éthique très rigoureux.

L'usage du chant cérémoniel sans accompagnement de percussion, mais avec la réponse du choeur, est très répandu parmi ces ñáñigos. Il s'y ajoute le son indépendant d'un tambour qui peut être l'empegó, l'ekueñon, l'enkríkamo ou le seseribó. Le plus important des instruments symboliques est l'ekue, tambour secret qui résonne derrière un rideau, dans la pièce fambá. Les Congo possèdent aussi un tambour secret: le kinfuiti. Argeliers León le décrit ainsi: "Le kinfuiti est un tambour à friction comportant une lanière interne, fixée au centre de la membrane. La lanière est frottée en rythme par les deux mains du musicien, assis sur le tambour qu'il maintient entre ses jambes, l'ouverture lui faisant face. Il enduit ses mains d'un mélange légèrement collant et produit, sous l'effet de la friction, un puissant mugissement rythmique".

La danse de l'ireme est soustenue par quatre tambours qu'on nomme ensemble biankomeko. Ce sont le bonkó-enchemiyá, le bainkomé, l'obí-apá, et le kuchi-yeremá. Ils sont complétés par deux bâtons entrechoqués nommés itones, une sonnaille ou ekón et deux hochets nommés erikundí. Les chants ou récitatifs forment les enkames.


Danses afro-cubaines

La yuka représente une des danses les plus anciennes. Elle est exécutée par un couple: l'homme et la femme dansent face à face, à pas rapprochés, la femme feignant d'être persécutée par l'homme. Celui-ci tente en effet de lui donner au bassin un coup fatidique: le vacunao, prédécesseur incontestable de la rumba. La danse est accompagnée de trois tambours, fabriqués à l'aide de troncs d'arbre et de cuir de boeuf, nommés respectivement caja (le plus grand), mula (tambour de taille moyenne) et cachimbo (le plus petit); mais aussi d'un instrument constitué d'un tronc évidé (guagua) que l'on frappe avec deux baguettes, et d'un idiophone en fer (en général une serpette ou un soc de charrue). Le batteur de tambour yuka porte aux poignets deux hochets (maracas): ce sont les nkembi.

Mais voici une autre danse typique, dont les chants sont accompagnés par les mêmes tambours que pour la yuka: la makuta. Les tambours évoluent alors suivant trois registres différents: tandis que le plus aigu produit des motifs rythmiques simples, le tambour moyen suit des phrases rythmiques continues, et le plus grave évolue selon des figures très libres.

La maní est une danse réservée aux hommes, pour laquelle ils exécutent, à la manière des pantomimes, une danse proche du pugilat! Les danseurs assènent coups de poings et coups de pieds aux membres de la ronde, qui se défendent tout en dansant. La mani était dansée par les conguerías dans les entrepôts des raffineries de sucre, les jours où les réunions étaient autorisées par les esclavagistes. Dans la région de Matanzas, la maní était également exécutée par des femmes.

Une autre danse congo très répandue est celle du garabato. On danse en frappant le sol à l'aide d'un bâton de forestier (palo de monte), en général de goyave, du type de ceux qu'utilisaient les employés agricoles affectés au désherbage. Pour les Congo, les plantes possèdent des propriétés magiques, c'est pourquoi le coup donné avec ces bâtons (nommés lungowa par les participants) constitue un acte magique d'invocation aux divinités vivant dans la forêt.


L'aventure de la conga se poursuit jusqu'au cinéma

Comme le remarquait Alejo Carpentier[2], "les éléments afro-cubains, de par leur richesse insolite, leur dynamisme accrocheur, leur complexité rythmique et la vigueur pour ainsi dire arborescente de leurs motifs, possèdent une surprenante éloquence". De toutes ces expressions musicales est née la conga cubaine qui, avec son cortège sonore de tambours, de tambourins, de hochets, de percussions métalliques, de poêles à frire, de cloches, de timbales et de grosses caisses, parcourt les rues des villes depuis le début du XXe siècle. Avec le temps, suite à une évolution naturelle, se sont ajoutés à ces instruments le cornet à pistons (avec sa variante, dans la moitié orientale de l'île, du "cornet chinois") et, plus tard, une ou plusieurs trompettes et divers trombones, dans l'intention évidente d'obtenir un effet sonore plus retentissant.

La conga orientale a pour sa part subi les influences musicales d'Haïti, d'où sont venus à la faveur de la révolution, des milliers d'émigrants. Ainsi ses tambours, dont le rôle est fondamental dans les congas de Santiago de Cuba, diffèrent-ils par la forme et par l'usage des tambours utilisés dans les congas de la partie occidentale de l'île. Certaines des plaques de fer percutées dans les régions orientales constituent d'autres particularités de la conga orientale, tout comme l'usage du cornet chinois, chargé d'ajouter une touche d'originalité à l'ensemble. Les variations que produisent les tambours, les plaques de fer et, en particulier, la grosse caisse — la "galette folklorique" — marquent également nombre de différences: elles sont plus syncopées, notamment... et le pas des danseurs suit en conséquence.

Cette conga, qui s'est rapidement installée dès la fin de l'esclavage au coeur du carnaval (et parfois dans les salles de fêtes des Congo), retrouve une vigueur nouvelle lorsqu'elle est introduite dans les milieux politiques. Sa force musicale et sa capacité de rassemblement par le biais des danses collectives furent utilisées par les partisans en lutte. La chambolena, cette conga éternelle qu'apporte Rigoberto Leyva de ses terres de Villares, à la tête d'une bunga en 1917 à La Havane, fui suivie par les masses libérales comme un véritable hymne.

Le rythme de la conga faisait danser les milliers de personnes participant aux fêtes traditionnelles telles que les bastringues de Rejucal ou les soirées de Noël, et servait de support musical aux mascarades du carnaval de La Havane (Le mouchard, Les pâtissières, Les dandys, Les compositeurs, Les marquis, La sultane, Les jardinières, Les va-nu-pieds), de Santiago de Cuba (Le cocoye, Carabalí Isuama, Carabalí Oluggo, La Kimona, Les trous, Saint Augustin, Le grand pas, L'apparence) et de nombreuses autres villes. Mais c'est à partir de 1928 que la conga cubaine reñccedil;oit sa consécration internationale. Introduite à Paris et New York par Eliseo Grenet, elle est diffusée par les orchestres de Xavier Cugat et de Machito et ses Afro-cubains, avant d'envahir les discothèques, le cinéma, la radio et le théâtre. Cette conga très élaborée produira des succès tels que Uno, dos y tres de Rafael Ortiz, ou Para vigo me voy d'Ernesto Lecuona. Dans les années soixante, elle se mélangera à d'autres formes folkloriques et donnera le rythme mozambique conñccedil;u par Pedro lzquierdo, dit Pello Afrocán. Aujourd'hui, avec son cortège d'instruments, sa structure dansante, son rythme endiablé et son chant contagieux, elle est toujours vivante dans notre musique.


    Notes

    1. ORTIZ, Fernando. La Africanía de la música folklórica de Cuba, La Habana, Letras Cubanas, 1993, 363 p.; ORTIZ, Fernando. Los instrumentos de la música afrocubana, La Habana, Cardenas (5 voll.), 1952-1955.

    2. CARPENTIER, Alejo. La musique à Cuba (trad. de l'espagnol par René L.-F. DURAND), Paris, Gallimard, 1985, 311 p.



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